D’immenses manifestations immobilisent la France depuis plusieurs mois. Cette mobilisation est venue en réponse à la nouvelle réforme des retraites qui fait l’objet d’une opposition par les syndicats et certains partis politiques. Au lieu de négocier, le gouvernement du Président Macron a insisté sur une stratégie réduisant les débats et faisant bon usage de l’Article 49.3 de la Constitution. Ce peuple insoumis face au gouvernement a soulevé la question suivante: la France est-elle en crise démocratique?

Une république imparfaite
La Cinquième République fait depuis longtemps l’objet de nombreuses critiques. La raison à cela est principalement un manque ostensible et peut-être intentionnel de démocratie. Suite à la crise de mai 1958, le président de Gaulle a introduit des mesures dans la nouvelle constitution française afin de pouvoir diriger le pays durant de telles périodes. La plus tristement célèbre de ces mesures est l’article 49.3 qui permet au gouvernement de mettre en place n’importe quelle loi sans faire voter l’Assemblée.

Le 16 mars 2023, la Première Ministre Elisabeth Borne a annoncé l’utilisation de cet article pour mettre en place la réforme de retraites. Le gouvernement a pris cette décision à la suite d’une indication d’une pénurie des votes nécessaires dans l’Assemblée. Parmi les partis présentés, ceux de gauche et de droite s’indignaient à cette annonce alors que les Républicains et Renaissance ont confirmé leur soutien. Certes les gauchistes et les droitistes s’y indignaient pour des raisons différentes, il est tout de même clair que les institutions démocratiques françaises sont de plus en plus divisées.

Plus largement, l’Hémicycle ne correspond plus aux désirs populaires des Français. D’après Antoine Bristelle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean Jaurès, les Français félicitent l’absence d’une majorité absolue dans l’Assemblée mais veulent plus de compromis. Selon un sondage réalisé par la Fondation, 70% des Français “plébiscitent une Assemblée nationale où aucun parti ne possède une majorité absolue”, un regard inédit. En effet, les Français ont indiqué une préférence pour un parlementarisme étendu et une démocratie plus directe. D’après un autre sondage réalisé par la Fondation, huit Français sur dix estiment la participation civile aux réformes constitutionnelles comme importante. Le souhait des Français va sans aucun doute dans la direction d’une démocratie élargie.

En outre, selon Jean Garrigues, historien, la crise démocratique a atteint son apogée. « Elle n’a pas commencé avec la crise des retraites ; c’est un processus lent dont le déni du référendum sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe, en 2005, a été un marqueur », déclare-t-il dans une interview avec FranceInfo. Bien que la France possède encore des institutions et des aspects démocratiques, sa légitimité est mise en doute par les efforts du gouvernement de Macron. « La contradiction entre la « sur-présidentialisation » du pouvoir aujourd’hui et le besoin de participation démocratique est de plus en plus forte. Le fonctionnement de ces institutions doit être repensé en priorité. » L’image que renvoie Macron évoque celle de Charles de Gaulle, car il tente de renforcer le pouvoir exécutif sans tenir compte des implications démocratiques et institutionnelles.

Un manque d’expérience et de légitimité?
Contrairement à ses homologues, la carrière politique de Macron est très courte. Il est entré sur la scène politique en 2012 en tant que secrétaire général, puis il est devenu président de la République française quatre ans plus tard. Quoique certains considèrent cette ascension comme stupéfiante, d’autres s’en inquiètent en raison d’un manque d’expérience. Sans expérience politique, il pourrait être difficile pour Macron de faire face à une crise, et encore plus difficile d’en affronter plusieurs en même temps. Outre la réforme des retraites, la France est également confrontée à une inflation importante, un contexte international tendu et des événements climatiques sévères. Autrement dit, l’agenda du Président n’est jamais aux croisières oisives. Il est ainsi possible que Macron ait les yeux plus gros que le ventre, et n’arrive pas à les corriger.

Par conséquent, le gouvernement a autorisé des milliers de policiers à attaquer brutalement les manifestants au lieu de discuter. Pendant tout ce temps, des réformes ont été adoptées par le Conseil constitutionnel au beau milieu de la nuit, à l’insu du peuple. Macron ne parvient pas à redonner confiance aux institutions françaises ou au gouvernement. Selon Pierre Rosanvallon, historien et sociologue, cela est également dû à un manque d’expérience en matière de gestion de crises : “gérer des crises, c’est être capable de trouver des points d’arrêt, des points de retournement. Mais pour l’instant, [Macron] n’en a pas le sentiment. Pourquoi? Peut-être parce qu’il n’a pas assez d’expérience politique.” En tant que président, il est de la responsabilité de Macron de gérer les crises et de trouver des solutions pour apaiser les manifestations et l’indignation des Français. Même de Gaulle, qui était considéré comme un président autoritaire, a su trouver un point d’arrêt pour les manifestations de mai 1968, notamment en démissionnant plus tard.

Quel recours?
Macron ne donne aucune preuve qu’il a l’intention d’arrêter sa politique. Pour Rosanvallon, puisque ses actions ne contreviennent pas à la constitution, Macron les considère comme démocratiques. Toutefois, ces actes ignorent l’esprit des institutions françaises, ce qui entrave la continuation et le fonctionnement de la démocratie française. C’est la constitution de la Cinquième République qui permet de tels abus, qui sont donc totalement légaux. Pour Rosanvallon, « la démocratie ne vit pas seulement de la lettre de la constitution. La démocratie vit aussi de l’esprit des institutions. » Les actions de Macron nuisent à l’esprit du pouvoir gouvernemental et des institutions françaises, et par conséquent, le gouvernement français perd sa légitimité aux yeux du peuple. C’est aussi le peuple qui gère la révolte. D’après la Fondation Jean Jaurès, les actions des syndicats pendant les manifestations sont jugées plus agréables que celles des partis politiques.

Malgré la dégradation des institutions françaises, il est toujours possible de rétablir le pouvoir politique au Parlement, particulièrement par les articles 20 et 21 de la Constitution. Ces deux articles affirment le rôle du Parlement en tant que dirigeant du pays et du Premier ministre en tant que chef du gouvernement. En invoquant ces mesures, Macron est contraint de se retenir, comme De Gaulle, et de laisser son Premier ministre gouverner. Dans ce cas, le président serait davantage impliqué dans la politique étrangère et de défense, tandis que le Premier ministre et son gouvernement pourraient agir de manière autonome. Cependant, la mise en pratique de ces mesures dépend des députés, dont la majorité sont membres de La République En Marche, le parti de Macron, ou de ses alliés. Cette option reste ouverte, mais il est peu probable qu’elle soit mise en œuvre prochainement.

L’érosion de la démocratie française n’est pas irréversible. Il est possible de renverser la dégradation du caractère démocratique du gouvernement français par plusieurs méthodes, notamment par les articles 20 et 21 de la Constitution. Néanmoins, le véritable problème actuel réside dans l’incapacité de Macron à s’arrêter. Pour les critiques comme Rosanvallon, la France est sur une “pente glissante” et si le président ne parvient pas à rétablir un équilibre entre l’exécutif et les autres institutions, le pays risque de tomber encore plus bas.

Rédacteur: Reed McIntire; Réviseur: Emile Rieger

Crédit photo: Luka Martin, Wikimedia Commons