De tous les territoires qui composent la République française, aucun n’est peut-être aussi méconnu et fascinant par son histoire que Mayotte. Après un long combat en 2010, cet archipel de l’Océan Indien est finalement devenu le 101ème département français, l’ancrant ainsi définitivement dans la République française. Située géographiquement dans l’archipel des Comores, lui-même niché entre le Mozambique et Madagascar, Mayotte, avec ses 250 000 habitants à 95% musulmans, se caractérise par son histoire coloniale particulière de laquelle résulte un attachement féroce à la France.

En effet, Mayotte fut au printemps 2018 à la une de tous les journaux car la population mahoraise protestait massivement contre la criminalité galopante sur l’archipel. Avec le taux le plus élevé de France, cette criminalité est largement attribuée aux migrants clandestins en provenance des Comores qui cherchent à fuir la misère de leur pays. En effet, le sentiment d’abandon des Mahorais face à la pression migratoire et criminelle a conduit à une forte mobilisation dans la rue où était fièrement arboré le drapeau tricolore. Il est aujourd´hui estimé que 40 à 50 % de la population vivant à Mayotte est clandestine, ce qui fait que ce département compte plus de reconductions à la frontière que tout le reste de la France métropolitaine.

Mais comment en est-on arrivé à cette situation économique et sociale explosive et, plus encore, comment expliquer la situation actuelle de l’archipel en se tournant vers son histoire ?

Tout commence en 1841 lorsque le sultan local de Mayotte, pour éviter que son île ne tombe sous la main du sultan rival anjouanais, la vend à la France en échange d’une garantie de protection. Le reste de l’archipel des Comores n’étant colonisé par la France qu’en 1886, Mayotte connaît une période de contact privilégié avec la France longue de 45 ans. De plus, la population mahoraise, pour des raison ethniques et religieuses, se méfie considérablement de ses voisins comoriens. Effectivement, la société mahoraise est matriarcale, tandis que le reste des Comores ne reconnaît pas cette organisation de la société et pratique un islam plus rigoriste. Durant la période coloniale, la France privilégie Mayotte en y installant la capitale des Comores, mais aussi en y développant diverses infrastructures.

Aux débuts des années 70, la question de l’indépendance des colonies se pose : en 1974, les Comores sont appelées par referendum à choisir ou non l’indépendance. Lors de ce référendum, les trois îles principales comoriennes votent à plus de 99% pour l’indépendance, tandis que Mayotte est la seule à voter à 63% contre et affirme sa volonté de maintien dans la République. Une longue bataille est alors menée par un collectif de femmes mahoraises, surnommées les « chatouilleuses », pour rester Françaises. Un second referendum est alors organisé à Mayotte en 1976 qui confirme à plus de 90% la volonté des Mahorais de ne pas rejoindre l’Union des Comores. La même année, un statut spécial est accordé à Mayotte comme collectivité territoriale française.

Mais l’appartenance de Mayotte à la France et ses modalités restent très controversées et non reconnues par les Comores et par L’Union africaine. Cette non-reconnaissance s’appuie sur l’argument que, lors du référendum de 1974, rien ne spécifiait ou justifiait de considérer les résultats des quatre îles individuellement, et que donc globalement, l’entièreté de l’archipel avait voté pour l’indépendance. À l’époque, les Nations Unies avaient épinglé la France qui, selon l’ONU, abusait de sa position de pouvoir. De plus, les Comores accusent la politique coloniale française d’avoir artificiellement produite les ressentiments anti-comoriens des Mahorais, et que donc Mayotte a été délibérément et stratégiquement ciblée pour rester française. Ainsi, les migrations des Comoriens vers Mayotte sont activement encouragées par l’Union des Comores. Ne reconnaissant pas l’autorité de la France sur Mayotte, elle considère que la migration vers Mayotte est un simple déplacement de sa population vers un territoire qui lui fait partie, et utilise celle-ci dans l’espoir de revoir tomber Mayotte un jour dans le giron comorien.

A partir de ce moment, les contours de la crise actuelle commencent à se dessiner : faisant partie de la France, de larges investissements sont menés depuis la métropole. Hôpitaux, routes, écoles, Mayotte se modernise et sa situation devient bien plus favorable que celle de l’Union des Comores, maintenant indépendante, mais qui sombre dans la dictature et la corruption. Un fossé économique et social se crée entre Mayotte et sa voisine comorienne jusqu’à devenir aujourd’hui 10 à 15 fois plus riche qu’elle. Ceci accentue les vagues de migrants comoriens accostant à Mayotte pour profiter des infrastructures, ce qui mène à l’explosion démographique de l’île. Cependant, si Mayotte est bien plus riche que ses voisins africains, elle reste le territoire le plus pauvre de L’Union européenne, avec seulement 32% du PIB par habitant moyen de L’UE. Les opportunités économiques pour les Mahorais restent cantonnées au secteur public et les taux de chômage et de pauvreté sont bien plus hauts que ceux de la métropole. L’immigration massive d’une population historiquement hostile envers les Mahorais est source de grandes tensions sur Mayotte. Elle craint également d’être dépassée économiquement et démographiquement par sa situation migratoire ainsi que d’être abandonnée par la France. La situation de Mayotte est parfaitement illustrée par ceci : lors de l’élection présidentielle de 2017, elle fut le département où Marine Le Pen et le Front National ont fait l’un de leurs meilleurs scores avec plus de 42% des voix aux second tour.

Si aujourd´hui la volonté des Mahorais de rester Français ne fait plus débat, l’intégration de Mayotte dans son environnement géographique africain reste une question très ouverte. Étant à la fois trop pauvre pour être complètement française et bien trop riche pour être comorienne, Mayotte se trouve coincée entre ses deux identités. L’archipel est l’illustration parfaite des conséquences politiques, économiques et sociales engendrées par la colonisation dans un monde qui se réaligne géopolitiquement, où les anciennes puissances coloniales sont en pleine perte de vitesse sur un continent africain en expansion.