Décembre 2022: Bernard Arnault, actionnaire majoritaire et PDG du groupe de luxe LVMH, devient l’homme le plus riche au monde en dépassant Elon Musk. La même année, il est estimé que 10 % de la population en France vit avec moins de 1 000 euros par mois, et 30 % avec moins de 1 500€. À Bernard Arnault s’ajoute Françoise Bettencourt Meyers, la femme la plus riche au monde, qui doit sa fortune à L’Oréal. Le taux de pauvreté a augmenté depuis le milieu des années 2000 et se trouvait à 14,6% de la population en 2019. Le coefficient de Gini est principalement utilisé par la Banque Mondiale pour calculer le niveau des inégalités de revenus dans le monde et fonctionne de la manière suivante: 0 correspond à une égalité parfaite et 1 au taux le plus inégalitaire. La France est passée d’un indice de 0,266 en 2007 à 0,308 en 2011, le plus haut niveau d’inégalité, et s’élevait désormais à 0,293 en 2021.
Comment la France en est-elle venue à avoir de telles richesses alors que les classes sociales populaires stagnent? La France est-elle un pays favorable aux très grosses fortunes? Fait-elle des efforts pour sa population la plus défavorisée?
Commençons par un bilan:
7,6% de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2020. Parmi cette population, 2,4% se trouvait dans une situation de grande pauvreté. En 2021, les cinq patrons les mieux payés en France ont touché 151,4 millions d’euros, soit 10 250 années de smic (salaire minimum interprofessionnel de croissance). La personne la mieux rémunérée est Carlos Tavares, qui touche 66,7 millions d’euros par an. Il faudrait à un employé au smic 4 500 ans pour gagner autant. En 2019, les 10 % les plus riches percevaient en moyenne 60 170 euros par an chacun, contre 8710 pour les 10 % les plus démunis. Plus de 51 000 euros les séparent, tout cela après impôts et prestations sociales. En 1996, l’écart était de 39 427 euros. Lorsqu’ on observe les inégalités de revenus absolues, celles-ci ont purement et simplement augmenté. Les français riches en patrimoine présentent un bilan similaire: à eux seuls, les 10% les plus fortunés possèdent 46,4% de l’ensemble du patrimoine des ménages.
La pauvreté chez les jeunes a quant à elle augmenté de 50% depuis 2002. En 2014, le taux de pauvreté monétaire chez les jeunes âgés de 18 à 24 ans était de 26%. Ce taux fait des jeunes la tranche la plus touchée par la pauvreté monétaire.
Malgré un système de sécurité sociale et maladie considéré comme un des meilleurs du monde, tous les Français n’ont pas accès aux mêmes soins. L’assurance maladie ne rembourse pas tous les soins et beaucoup d’interventions médicales nécessitent un paiement remboursé par la suite. Ainsi, 25% de la population déclare avoir renoncé à des soins pour des raisons financières.
Dans l’ensemble, le niveau de vie a augmenté pour tout le monde, mais la tendance à la hausse des revenus a été beaucoup plus lente pour les classes sociales les plus basses et les 0,1 % les plus riches se sont enrichis de manière exponentielle.
Un historique:
Une des premières victoires pour l’égalité économique des Français date de 1936 lorsque le parti socialiste sous Léon Blum forme un gouvernement avec le parti communiste et le parti radical (au centre de l’échiquier politique en 1936). Un grève générale paralyse l’industrie et les Accords de Matignon garantissent les congés payés, la semaine de 40h, les contrats collectifs et la liberté syndicale. Des aspects bien normaux de nos jours mais la victoire vient du fait que toutes les principales réformes réclamées par le monde ouvrier ont été acceptées.
Passons à un passé plus récent, 2007. Qu’a fait Nicolas Sarkozy pour limiter les inégalités économiques? À première vue, il aurait augmenté les impôts des plus riches: les hautes tranches payent plus, une nouvelle taxe sur les très hauts revenus est instaurée. Mais la forte baisse de l’impôt sur la fortune et des droits de donation et succession font en sorte que les 1% les plus riches de France en ont finalement profité.
François Hollande s’est donné plus de mal, mais ses réformes n’ont eu qu’un effet restreint. Les réformes des prestations et prélèvements de 2015 ont eu pour effet une légère redistribution des 30% les plus aisés vers le reste de la population. Le changement des allocations familiales en fonction des revenus a eu pour conséquence une baisse des prestations parmi les 20% les plus riches.
Hollande dit de son successeur qu’il “ n’est pas le président des riches, il est le président des très riches”. Les Français qui ont voté pour Emmanuel Macron avaient des attentes: un jeune candidat centriste, dynamique, environnemental pourrait mener la France dans une meilleure direction. Les mesures sociales et fiscales mises en place par l’État sous Macron ont rapporté presque 500 € en moyenne par an aux 30% les plus riches contre 90 € aux 50% les plus pauvres. Les mesures visant les plus aisés ont été détendues, alors qu’elles représentaient 90% du budget des mesures de soutien, soit un montant de 11,1 milliards d’euros. À cela s’ajoute un refus total d’augmenter le smic en pleine inflation et un recours régulier à la théorie du ruissellement, pourtant contestée par beaucoup d’économistes justement parce qu’elle augmente les inégalités. Macron a également supprimé l’impôt sur la fortune, ce qui a allégé les actionnaires, et l’a remplacé par un impôt sur le patrimoine immobilier, qui touche davantage la classe moyenne. Seulement 6,5% des gains liés aux mesures budgétaires du gouvernement sous Macron vont aux plus pauvres, tandis que les plus aisés en profitent de 22,1%. Le quinquennat d’Emmanuel Macron a donc profité 3,4 fois plus aux plus riches qu’aux plus précaires. La politique sociale de Macron témoigne du mépris et de l’arrogance qui lui sont reprochés.
Un bilan honteux pour un pays fier
Bien sûr, la France est l’un des pays les plus riches au monde et même les plus démunis ont des avantages par rapport à la pauvreté mondiale. Et si l’on compare avec un pays sous un règne totalitaire, les outils à la disposition des Français pour assurer leur égalité, que ce soit le vote, les syndicats ou la révolte, sont inestimables. Sans la qualité de notre modèle social, des milliers de familles vivraient dans des conditions bien pires. Cela n’empêche pas que la misère existe toujours bel et bien et que les inégalités de revenus continuent à s’accentuer malgré les efforts plus ou moins persistants du gouvernement.
Rédactrice: Paulina Kofler–Warnier; Réviseur: Emile Rieger
Crédit photo à Guillaume Didelet, Unsplash